De retour en Martinique, la boucle
est bouclée ! C’est l’heure du bilan, à première vue quelque chose de pénible
car cela signifie la fin de notre voyage de rêve, du voyage d’une vie. Finalement
cet exercice n’est pas désagréable, bien au contraire ; le voyage est
passé vite mais en regardant dans notre sillage, on se rend compte de la route
accomplie. Un certain nombre de questions se dressaient en effet devant
nous avant le départ. Souvent notre entourage nous les posait ; et
même si nous n’étions pas sûrs de nous, nous répondions toujours avec aplomb.
Le fait de parler de notre projet nous interdisait aussi de revenir sur notre
décision de partir, une parole est une parole. Les principales questions
étaient les suivantes : Allions-nous vraiment partir ? Le moment était-il
bien choisi au cours de notre vie/carrière ? La zone de navigation des
Antilles était-elle adaptée ? Le jeune âge des filles allait-il poser
problème ? Ce voyage était-il compatible avec une grossesse ? Malgré
la menace du Zika ? Allions-nous savoir gérer le bateau en toute sécurité ?
Les réponses à ces questions paraissent aujourd’hui évidentes. Ce qui est
probablement bon signe.
Partir or not
Organiser un voyage de plusieurs
mois pendant une carrière n’a rien de facile ! Jusqu’au bout nous avons
failli abandonner notre projet. Il n’est pas évident de dire à des patrons
qu’on ne peut pas prendre un poste car on va se la couler douce pendant 6 mois
aux Antilles. On peut être étiqueté de « tire au flanc ». S’ajoute à cela dans nos métiers très
techniques, la crainte de revenir en ayant perdu le niveau atteint avant le
départ. Au final, ce projet ne nous porte pas préjudice et plutôt attise la
curiosité des gens. On m’a souvent fait la réflexion :
« C’est/c’était mon rêve et je n’ai pas eu l’occasion/le courage de le
faire ». Finalement nous avons appris beaucoup de choses sur nous-même
pendant ces quelques mois sur la mer. Appris à gérer des situations
dangereuses, prendre des décisions rapidement et
sans hésiter, anticiper les
problèmes et surtout prendre le recul, tout ceci étant des bonus pour notre
carrière future.
West Indies
La zone de navigation pouvait
sembler restreinte ou ne faisant pas « rêver », nous qui rêvions de
traversées transocéaniques et de passage de caps ! La grossesse de Marie
et les enfants ont calmé nos ardeurs en se limitant à la mer des Caraïbes. Les
a priori sont vraiment nos ennemis, car cet arc antillais est un véritable
joyau, idéal à la navigation en voilier. Plusieurs navigateurs nous l’ont
confirmé. Ce plan d’eau combine bonnes conditions de vent, proximité des îles,
qualité des mouillages, chaleur de l’eau… Chaque île est distante d’une
vingtaine de mille en général ce qui permet de changer facilement d’ambiance
car elles ont toutes leurs spécificités géologique et culturelle. Malgré
certaines destinations assez touristiques, on a toujours pu trouver des coins
préservés. La navigation était parfois musclée, surtout dans les canaux qui
séparent ces îles, créant un effet venturi entre l’Atlantique et la mer des
Caraïbes, sans jamais être dangereuse (on n’a pas rencontré de vent supérieur à
force 7). Pour le programme de nav, le catamaran a été une super découverte,
nous qui jurions seulement par le monocoque ! Le fait de ne pas gîter
permettait toujours aux filles de se déplacer facilement. Nous avions également
une place énorme à disposition, puisque nous occupions un seul des deux
flotteurs. Cela nous a permis d’être à l’aise et d’accueillir les invités dans
des conditions idéales. Au niveau comportement, ce bateau était très marin avec
des performances appréciables.
Les nouches
La vitesse d’adaptation des filles
à leur nouvel environnement nous a vraiment impressionnés. Dès le premier jour,
leur nouvelle maison était adoptée ! Nous avons vite privilégié les
navigations pendant leur sommeil (sieste ou nuit), elles se réveillaient comme
des charmes ! C’est vrai que les navigations n’ont pas beaucoup d’intérêt
pour elles. Et nous pouvions savourer pleinement les nav sans devoir assouvir
leurs souhaits dans la minute, ce qui n’est pas toujours évident quand les
conditions de mer sont difficiles. Nous avons surtout pris conscience de la
chance de passer 100% de notre temps avec elles, une chance qui ne se
reproduira sans doute jamais pendant une si longue période. On a pu apprécier
leurs progrès au jour le jour, en même temps que les caprices et autres colères
qui vont avec mais ce qui est tellement normal. C’est assez bluffant de voir
comment les filles ont favorisé le lien social avec les locaux et les autres
voileux. La vision de deux têtes blondes donnait souvent l’occasion d’engager
la conversation : « are they twins ?» et la sympathie.
Elles se retrouvaient donc souvent à manger des kilos de bananes offerts dans les
marchés ou à faire des baisers aux boyboats.
Grossesse et voile
La grossesse de Marie est une
grande joie. On était serein pour partir. Cependant, les premières navigations
étaient rendues difficiles par les nausées qui se surajoutaient au mal de mer.
Problème qu’elle n’avait jamais rencontré auparavant ! Malgré quelques
navigations difficiles, surtout la traversée jusqu’en République Dominicaine, le
voyage a été une occasion rêvée de repos et de no stress pour cette grossesse
qui se passe sans encombre. Le suivi a été réalisé sur les différentes îles françaises
(Saint Martin, Martinique) avec un protocole antillais un peu différent de nos
habitudes parisiennes. Mais cela nous a plu de démédicaliser un peu cette aventure.
Pas de problème de Zika à signaler a priori, il y a très peu de moustiques aux
Antilles et en particulier sur un bateau au mouillage. Sur place, on entend
très peu parler du problème et ça semble plus préoccupant vu de
métropole ! Finalement la plus grande difficulté a été pour nous l’alimentation
lors des séjours aux Grenadines puis aux Vierges. Il était difficile de trouver
des produits frais bon marché et des protéines. On s’est bien rattrapé sur les
autres iles et cela nous a donné l’occasion de devenir des maitres laitiers,
boulangers, pêcheurs….
Devenir skipper
Je ne vais pas vous cacher que
nous avions un peu la pression lorsque nous sommes arrivés au Marin et que nous
avons découvert le mastodonte que nous allions louer pendant 5 mois (12 mètres
de long pour 6m50 de large). Certes Marie est monitrice de voile avec une
expérience de régate en 420 et je suis habitué à naviguer en croiseur, mais c’était
pour nous une grande première d’avoir notre catamaran à nous ! Lors de la
prise en main avec Paul (notre loueur) nous avions l’impression de passer un
véritable examen ! Au final, on a été validé et tout s’est bien passé par
la suite. Toujours en sécurité (gilets de sauvetage en permanence, attachés à
la ligne de vie quand le vent est au-dessus de 20 nds ou la nuit, voilure
réduite dès 20 nds, etc…). Avec l’expérience, les rencontres avec d’autres
voiliers, les automatismes sont venus, et nous avons appris à devenir des skippers
antillais. Nous avions un suivi attentif à terre par Henri et Stéphane qui nous
envoyaient fréquemment des SMS iridium pour des points météo et autre. En tant
que couple, la navigation a permis de grands moments de plaisir mais aussi (et
je crois que c’est normal) l’occasion de crispations et parfois de cris. Mais
finalement avec l’expérience et surtout quand les moteurs ont été réparés, tout
s’est simplifié et coule de source aujourd’hui.
Partage
Ce voyage n’a pas été qu’une
aventure de notre cocon familial, nous avons eu l’occasion d’accueillir des
amis et de la famille à bord. Les marins anglosaxons disent que le calendrier
est l’ennemi du marin, car il conduit à prendre la mer lorsque les conditions
météo ne sont pas favorables. C’est vrai, le fait de devoir retrouver les
différents invités nous a amené à parfois nous presser. Mais globalement tout
s’est bien goupillé ! Nous avions prévu des marges de sécurité et avons pu
naviguer quand les conditions étaient bonnes. Les retrouvailles étaient
toujours émouvantes, avec, au cours du séjour des invités, une ambiance festive.
Notre voyage a été l’occasion de rencontrer d’autres familles navigantes et de
partager nos coups de cœur et difficultés. C’est assez amusant de constater la
similitude de nos impressions et de partager les joies et difficultés de la vie
sur un voilier. Chose qu’on ne peut pas faire avec des métropolitains ! Il
serait malvenu de se plaindre des réveils répétés la nuit pour fermer les
hublots en cas de grain…
En plus d’une aventure formidable,
ce voyage a été aussi l’occasion d’une pause dans notre vie. Après un internat
difficile, une vie parisienne qui défile à 100 à l’heure, avec des réseaux
sociaux omniprésents, avec les attentats et les catastrophes humanitaires….
Nous avons pu prendre du recul et redéfinir nos objectifs de vie, les choses de
valeur. Nous avons progressivement enlevé notre carapace de citadin pressé,
blessé et sur la défensive. Ce qui nous a permis d’avoir une réflexion plus
libre. Nous nous sommes rendu compte que la qualité des rapports humains
primait à nos yeux. Dans notre vie privée, choyer nos amis et notre famille.
Dans notre métier, qui est pour nous le plus beau du monde, prendre du recul
sur la technique qui est souvent prépondérante en chirurgie et en coronarographie
et qui risque de prendre le pas sur le rapport humain avec les patients.
Au final, ce voyage a été très
positif et nous avons hâte de retrouver nos familles et amis. Et surtout
d’accueillir notre bébé créole au mois de juin, élevé aux accras !
PE
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Le Diamant et la lune |